Le Conseil d’État aux fonctionnaires : de l’audace, encore de l’audace ! Et de l’échec !

Par Véronique Forsse

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Le 25 juin dernier, dans sa dernière conférence de philosophie de l’année au MK2 Odéon, Charles Pépin répondait à la question « Qu’est-ce qu’être audacieux ? ». L’audace est distincte du courage, qui s’inscrit dans la durée, et de la témérité, qui ignore toute réflexion. Être audacieux, c’est le fait d’oser, en ayant apprécié les risques, mais en acceptant par avance la part de risque de risque imprévisible ; c’est oser sortir de la norme et affirmer sa singularité. Avec l’audace c’est la vie elle-même qui jaillit.

Le 26 avril dernier, le Conseil d’État a remis au Premier ministre une étude fort intéressante sur la prise en compte du risque dans la décision publique, qui manie des concepts qu’il est rare de croiser dans les textes institutionnels. Le Conseil d’État rappelle que si la prise en compte du risque est traditionnellement au cœur de l’action publique, elle est devenue difficile : inflation normative, principe de précaution, faible culture du risque dans la formation… et l’étude a l’immense mérite de chercher des moyens de redonner aux fonctionnaires le sens du risque.

Mais surtout, on y trouve à vingt reprises ce mot qui fait peur dans notre pays où il n'est que très peu valorisé : l’échec. Être audacieux,  c’est réfléchir suffisamment pour éviter l’échec, mais c’est aussi et surtout accepter le risque de l’échec, dont la vertu première est de préparer aux autres échecs… et au succès.

Le Conseil d’État formule 32 propositions pour inciter les fonctionnaires à plus d’audace et pour les aider dans cette voie.

1 – Concevoir une stratégie prise en compte du risque dans l’action publique

  • Énoncer une stratégie pour une action publique audacieuse.
  • Renforcer la prospective publique.
  • Développer la capacité d’anticipation dans les ministères et dans les principales collectivités territoriales.

2 - Permettre aux décideurs publics de mieux gérer les risques exogènes

Savoir

  • Valoriser l’expertise interne à l’administration.
  • Clarifier les modalités de l’expertise externe.
  • Renforcer les capacités d’alerte et organiser le retour d’expérience.

Décider

  • Adapter l’organisation administrative en fonction des risques encourus.
  • Clarifier les places respectives de l’évaluation et de la gestion des risques.
  • Mieux expliquer la portée du principe de précaution.

Informer, dialoguer et former

  • Partager avec le public l’information sur les risques, le sensibiliser et le former.

3. Encourager les décideurs publics à agir de façon audacieuse

Améliorer la gouvernance publique

  • Renforcer les capacités de choix du Parlement.
  • Clarifier les rôles des décideurs publics, politiques et administratifs.
  • Permettre au débat démocratique de mieux s’exercer.
  • Privilégier des normes fondées sur des objectifs et contrôler leur mise en œuvre selon le principe de proportionnalité.
  • Déterminer le bon niveau de décision en fonction des risques encourus.
  • Sensibiliser les décideurs publics sur les marges de manœuvre dont ils disposent pour prendre leur décision.
  • Renforcer le caractère collégial de la prise de certaines décisions publiques. Proposition n° 18 : encourager les décideurs publics à consacrer du temps à la décision et à l’innovation.
  • Renforcer l’évaluation ex post des décisions

Adapter la gestion des ressources humaines et le management publics

  • Prendre en compte l’aptitude à l’audace et à la créativité dans le recrutement des agents publics.
  • Introduire des enseignements intégrant la gestion des risques dans la formation initiale et continue des fonctionnaires.
  • Prendre en compte l’exposition au risque dans la rémunération.
  • Valoriser, dans la carrière, les fonctions exposées aux risques.
  • Prendre en compte l’exposition au risque dans l’évaluation individuelle des agents.
  • Apporter un soutien aux agents publics confrontés au risque.
  • Encourager l’innovation en matière de management public.

4. Améliorer le traitement du contentieux de la responsabilité des acteurs publics

Le contentieux administratif

  • Donner rapidement la bonne interprétation d’une norme ou d’un principe nouveaux.
  • Poursuivre l’adaptation du contrôle du juge administratif sur les décisions devant prendre en compte de multiples intérêts publics et privés.

La responsabilité financière

  • Engager une réflexion sur la responsabilité des ordonnateurs.

La responsabilité pénale

  • Mettre en place un outil permettant de mesurer le « risque pénal » pour les agents publics.
  • Réduire la durée de la phase d’enquête et d’instruction.
  • favoriser le développement du statut de témoin assisté