« À l’hôpital, le stress gestionnaire gangrène les liens humains »

Déjà en novembre 2019, Emmanuel Macron reconnaissait que les conditions de travail à l’hôpital sont « parfois impossibles ». La crise sanitaire, loin d’arranger les choses, a accentué une situation qui dure depuis plusieurs années. Pourtant, des idées de management plus collaboratif et moins hiérarchique existent, qui pourraient remettre du liant entre les personnels de santé. Comme l’explique Lydwine Vaillant qui a contribué à Innovations managériales et qualité de vie au travail dans la fonction publique hospitalière - Enjeux, stratégies, actions, le dernier livre de l’AdRHess paru chez Berger-Levrault.

Propos recueillis par Quentin Paillé

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Selon vous, qu’est ce qui fait que des professionnels de santé ont des pensées suicidaires, fassent des burnout, voire démissionnent ?

C’est clairement le résultat de la standardisation des pratiques due à la tarification à l’acte. Cela a généré une mainmise administrative qui pousse à devenir indifférent à l’humain. En parallèle, il y a une prolifération des normes, des protocoles vis-à-vis desquels les professionnels ne se reconnaissent pas, car ils ne sont pas formés à toute cette technicité et cette logique de rentabilité. Leur raison d’être c’est de soigner des gens, sauver des vies, pas d’accumuler des actes pour rentabiliser l’hôpital.  Tout cela apporte une perte d’identité et de sens quant à leur vocation première.

Ensuite, le management est très hiérarchisé et cloisonné entre l’administration, le paramédical et le médical. Cela fait trois hiérarchies et c’est au moins deux de trop. Ajoutons également des problématiques d’ego. Et les transformations ne peuvent se faire que si les managers effectuent un travail sur eux-mêmes.

Ceux qui produisent ces procédures sont éloignés de la réalité du terrain, le pouvoir d’organiser le travail a été retiré à ceux qui le connaissent. Ce stress gestionnaire a gangréné les liens humains et génère un phénomène de maltraitance institutionnelle. Cela aboutit au burnout, à l’absentéisme, et parfois à des démissions.

Qu’est-ce que l’innovation managériale et comment cela se concrétise dans les établissements de santé ?

Plus l’environnement se complexifie, plus l’innovation consiste à simplifier les organisations, à prendre le temps d’échanger en équipe. C’est un fonctionnement qui a fait ses preuves au tout début de la crise du covid, pendant le premier confinement. On a laissé les soignants réfléchir entre eux, on a arrêté de les entraver avec des considérations administratives et économiques, on leur a dit « quoiqu’il en coûte, faites ce qu’il faut pour sauver les patients ». Ils ont collaboré, coopéré, ils ont retrouvé leur raison d’être. Si on laisse de la marge de manœuvre aux équipes hospitalières, aux équipes pluridisciplinaires, je suis persuadée que les professionnels de santé retrouveront le sens de leur métier.

J’aime beaucoup citer l’exemple du professeur Colombat, au CHU de Tours, qui a mis en place depuis les années 1990 une organisation plus collaborative, la démarche participative. En partant du constat, de la souffrance chez les soignants, et aussi pour améliorer la qualité de soins, il a construit une démarche qui repose sur cinq piliers : tout d’abord, la mise en place de staffs pluriprofessionnel pour élaborer des projets de santé personnalisées avec la participation de l’ensemble des professionnels de santé qui interviennent auprès du patient. Cela permet de capitaliser sur les regards croisés de chacun et de faire en sorte que chacun s’exprime avec un ordre parole très précis : les aides-soignants, puis les infirmiers et enfin les médecins, pour inverser la hiérarchie. L’objectif de ces trois tours de table est de faire émerger un consensus ; ensuite les formations internes au service, avec l’ensemble des catégories socioprofessionnelles, sur des sujets transversaux pour favoriser les échanges et la construction d’une identité de groupe ; l’organisation de staffs de débriefing avec un psychologue extérieur en cas de situation de crise ; un fonctionnement en mode projet  et des idées d’amélioration pour la prise en charge des patients ; et enfin des espaces de parole pour les managers, qu’ils soient médecins ou cadres de santé

Innover c’est aussi se recentrer sur le trait d’union de tous ces professionnels de santé, médecins, aides-soignants, infirmiers, mais aussi administratifs : le patient.

Qu’est-ce que le mieux-être au travail, et quelle en est la finalité ?

La finalité c’est l’attractivité et la fidélisation des professionnels de santé. La qualité de vie au travail est une terminologie qui peut paraître creuse alors que c’est plus à considérer comme une résultante secondaire d’un ensemble de facteurs. Ce n’est pas forcément un objectif primaire qu’il faut poursuivre. C’est le résultat de facteurs comme soigner de manière qualitative, construire des relations humaines de qualité avec les patients et les collègues, avoir un rythme de travail compatible avec une vie personnelle. Tout cela génère une plus grande qualité de vie et donc un mieux-être au travail.

La finalité c’est une meilleure qualité des soins, des patients satisfaits, des professionnels qui retrouvent une envie de travailler. Cela favorise aussi l’innovation, car quand on est dans un environnement constructif et bienveillant, où chacun a la possibilité de s’exprimer, d’être écouté et entendu, les idées émergent et l’innovation aussi.