Limiter le "Reste à charge" dépendance?

Par Jean-Charles Savignac

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Un enjeu essentiel d’une nouvelle réforme du financement de la dépendance sera de réduire le reste à charge personnel. La loi no 2015-1776 relative à l'adaptation de la société au vieillissement, dite « loi ASV », promulguée le 28 décembre 2015, est loin d'avoir réglé le problème : 25 % des dépenses de prise en charge des personnes âgées dépendantes ne sont pas financées par les allocations ou aides publiques (ce pourcentage moyen peut varier selon le profil des bénéficiaires vivant à domicile ou personnes âgées dépendantes vivant en établissement notamment). Le rapport Libault « Grand âge et autonomie » revient sur le sujet en apportant plusieurs propositions dont la concrétisation bousculerait la situation actuelle.

Dans un mode de financement de la dépendance où les sources sont très imbriquées, l’essentiel se joue actuellement autour de l'allocation personnalisée d'autonomie (l’APA), une allocation qui aide à payer une partie de la facture des personnes vivant en maison de retraite médicalisée. Le montant de la participation financière à la charge du bénéficiaire dépend de ses ressources. Elle est fonction des ressources personnelles et du montant des autres aides obtenues. Certains revenus sont pris en compte dans ce calcul, et d'autres en sont exclus.

Dans sa contribution à la concertation Libault, le Haut conseil de la famille de l’enfance et de l’âge (HCFEA) a indiqué que le reste à charge à domicile bénéficiait d’une prise en charge quasi totale pour les dépenses de soins. Elle est solvabilisée par l’APA et le crédit d’impôt pour les dépenses d’accompagnement dans les actes de la vie quotidienne. Le reste à charge a été considérablement réduit par la loi ASV, en particulier pour les plus gros plans d’aide, et la transformation de la réduction d’impôt en crédit d’impôt en loi de finances pour 2017.

Cependant, le reste à charge demeure élevé en établissement. Si les prestations de soins sont couvertes à 100 % et celles relatives à la section « dépendance » aux deux tiers environ par l’APA, les prestations « hébergement » (hôtellerie, restauration, animation) sont à la charge des ménages.

Ainsi, suivant la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), le reste à charge, après aides, diverses atteint 1 850 € par mois (niveau médian avant aide sociale à l’hébergement) et excède les ressources courantes de la personne âgée dans 75 % des cas.

Les personnes qui sont dans l’incapacité d’acquitter le coût de l’hébergement peuvent toutefois solliciter l’aide sociale à l’hébergement des départements. Environ 20 % des résidents en EHPAD, soit 100 000 personnes, bénéficient de cette aide différentielle qui donne lieu à obligation alimentaire.

L’aide sociale à l’hébergement est une aide attribuée, gérée et financée par le Conseil départemental qui vise à solvabiliser l’hébergement en établissement (EHPAD, ESLD, et, pour les moins dépendants, résidence autonomie). Elle a un caractère subsidiaire c’est-à-dire qu’elle vient en complément des ressources de la personne (prestations sociales incluses) : 90 % des ressources du bénéficiaire sont ainsi mobilisées, sans que le montant mensuel laissé au bénéficiaire ne puisse être inférieur à 1 % du montant annuel de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (soit environ 104 € par mois). En outre, elle donne lieu à obligation alimentaire (le Conseil départemental réalise une enquête sociale déterminant la participation des descendants) et à récupération sur succession (dès le premier euro).

Le rapport Libault note que les Français sont attachés à un principe de différenciation de l’aide financière selon la capacité des personnes âgées à participer. Par ailleurs, l’assurance dépendance privée n’est actuellement pas identifiée comme un complément généralisable à la prise en charge publique.

La concertation a établi qu’environ 40 % des plus de 70 ans ont des revenus et un patrimoine financier leur permettant de faire face à une dépendance longue en EHPAD (6 ans) et que cette proportion dépasse 75 % si l’on intègre le patrimoine immobilier.

Le non-recours à l’aide sociale à l’hébergement est élevé puisqu’à peine 20 % des résidents en EHPAD en bénéficient alors que 75 % n’ont pas les ressources courantes permettant de couvrir le tarif hébergement.

Pour conclure sur cet aspect, il faut noter que la définition du domicile est importante. Si l’on comprend la demande de vieillir à domicile, il reste que le logement dans lequel les personnes vieillissantes ont passé une partie de leur vie n’est pas toujours adapté à leurs besoins.

Les mesures préconisées pour diminuer le reste à charge en EHPAD

Le rapport Libault propose de diminuer immédiatement de 300 euros par mois le reste à charge pour les résidents à revenus moyens qui ne bénéficient pas de l’ASH, c’est à-dire les résidents dont les ressources courantes se situent entre 1 000 € et 1 600 € par mois. Ces catégories de revenus représentent 35 % des résidents en EHPAD. Cette diminution serait réalisée à travers quatre mesures :

  • La mise en place d’une nouvelle prestation dégressive en fonction des ressources, de 300 € par mois pour des ressources inférieures à 1 600 € par mois puis dégressive jusqu’à 50 € par mois pour les personnes disposant de plus de 3 200 € par mois de ressources ;
  • La fusion des sections « soins » et « dépendance » avec l’instauration d’un ticket modérateur de 5 € par jour. La baisse des restes à charge serait de l’ordre de 15 € par mois pour plus de 90 % des résidents ;
  • Le transfert de certaines dépenses de la section « hébergement » vers la section « soins » (diététiciens, quote-part des charges de direction ou des charges financières, hausse de la part des rémunérations des agents de service) représenterait une baisse du reste à charge de l’ordre de 25 € par mois et par résident ;
  • En outre, environ 90 000 résidents en EHPAD et ESLD (soit 15 % du total) seraient concernés par la mise en place d’un « bouclier autonomie », pour un gain moyen de l’ordre de 740 € par mois. Les conditions d’ouverture de ce bouclier seraient progressivement assouplies en fonction des marges de manœuvre budgétaires disponibles.

Le déblocage de 3 milliards d’euros en dix ans pour la rénovation du parc immobilier (en particulier dans les EHPAD publics) permettrait aussi d’éviter le recours à l’emprunt pour les établissements rénovés et donc la hausse des tarifs hébergement qui en aurait découlé.

Enfin, s’agissant des bénéficiaires de l’ASH, il est proposé une hausse du reste à vivre de 104 € par mois à 156 € par mois qui concernerait près de 110 000 personnes. En 2024 interviendrait la suppression de l’obligation alimentaire pour les descendants des bénéficiaires de l’ASH.

Dans une interview, la présidente de la Caisse nationale de la solidarité pour l’autonomie (CNSA), Marie-Anne Montchamp, a proposé que le reste à charge des résidents des EHPAD soit plafonné, que le budget social des départements soit sanctuarisé et que l’État lance un vaste plan en matière de logement. Au total, on mesure combien la baisse de ce reste à charge pour la personne va dépendre de multiples autres réformes ponctuelles ou plus larges, toutes très techniques.