Au cœur des lignes directrices de gestion ! Quels constats un an après ?

Par Véronique Forsse

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En octobre dernier se tenaient à Paris Les rencontres RH de la santé, proposées comme chaque année par l’adRHess. L’atelier intitulé « Lignes directrices de gestion, 1 an après : retour d’expérience » a suscité un vif intérêt auprès d’un public averti.

Introduit par Philippe Champenois, avocat associé au cabinet Houdart, qui a levé les incertitudes autour de la valeur juridique des lignes directrices de gestion (LDG), le débat s’est poursuivi selon un angle pratico-pratique grâce aux interventions de Marie-Gabrielle Vaissière (DRH de l’Hospitalisation à domicile AP-HP) et de Fabrice Dion (Directeur des ressources humaines de l’EHPAD de Tournan et chez Groupe hospitalier Sud Ile-de-France).

La loi n° 2019-828 du 9 août 2019 a en effet créé la notion de « lignes directrices de gestion » et le décret no2019-1265 du 29 novembre 2019 a précisé les conditions dans lesquelles l’autorité compétente peut les édicter.

Une première catégorie de lignes directrices de gestion concerne la gestion stratégique de l’emploi et des ressources humaines au sens large. Un second ensemble est formé des lignes directrices de gestion opérationnelles qui concernent très concrètement la promotion professionnelle. C’est de ce second ensemble qu’il sera essentiellement question dans cet atelier, car il a une incidence directe sur la carrière et la promotion des agents.

Elles ont été élaborées pour la première fois dans un contexte particulier, en pleine crise sanitaire. Il a paru utile aux orateurs de revenir sur les fondamentaux et les points sensibles, d’autant plus qu’elles peuvent faire l’objet, en tout ou partie, d’une révision en cours de période.

Quelle valeur juridique attribuer aux lignes directrices de gestion ?

1 – Le droit souple oriente et conseille

Les lignes directrices de gestion sont représentatives du soft law ou droit souple, auquel le Conseil d’État dans son rapport de 2013 recommandait aux pouvoirs publics de recourir de façon plus fréquente.

Attention ! Le droit souple n’est pas le droit mou. Il se définit en opposition au droit contraignant, loi ou règlement, qui prescrit, qui demande de faire ou de ne pas faire. Les lignes directrices de gestion se distinguent également des circulaires, qui ont pour finalité d’interpréter un texte. Le droit souple oriente, propose, conseille. C’est une notion assez nouvelle pour un milieu habitué à la rigidité du statut, qui découle clairement de l’article 26 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 :

« Les lignes directrices de gestion déterminent la stratégie pluriannuelle de pilotage des ressources humaines dans chaque établissement, notamment en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

« Les lignes directrices de gestion fixent les orientations générales en matière de promotion et de valorisation des parcours, sans préjudice du pouvoir d'appréciation de l'autorité investie du pouvoir de nomination en fonction des situations individuelles, des circonstances ou d'un motif d'intérêt général.

« L'autorité communique ces lignes directrices de gestion aux agents. »

Cette notion de droit souple ressort également de l’avis du Conseil d’État n° 397088 du 21 mars 2019 qui souligne l’importance de la réforme. Sans remettre en cause l’existence des statuts, le Gouvernement entend réformer en profondeur le dialogue social, en réorganisant profondément ses instances et en définissant des lignes directrices de gestion.

Elles sont arrêtées par le chef d’établissement, sans obligation de lancer une négociation auprès des organisations syndicales car il ne s’agit pas d’un accord collectif.

2 - Quel degré de précision pour les LDG ?

La rédaction des lignes directrices de gestion doit-elle être très précise ou au contraire très floue ? La logique du droit souple devrait permettre de ne donner que des orientations, ce qui peut se concevoir quand on pense à la stratégie RH mais peut s’avérer compliqué et peu utile pour tout ce qui renvoie à la promotion professionnelle au choix. Encore une fois attention ! Précis ne veut pas dire exhaustif à l’excès. Rédiger des lignes directrices de gestion qui font 70 / 80 pages posent question, car cela équivaut à rédiger un statut.

En vertu de l’article 27 du décret, les lignes directrices de gestion fixent, en matière de promotion et de valorisation des parcours :« 1° Les orientations et les critères généraux à prendre en compte pour les promotions de corps et de grade réalisées par la voie du choix ;

2° Les mesures favorisant l'évolution professionnelle des agents et leur accès à des responsabilités supérieures. »

Si la rédaction est trop floue, les critères sont sujets à grande interprétation et donc à contentieux ; au contraire, si les critères sont trop précis, l’établissement se retrouve enfermé dans une interprétation. Dans certaines lignes directrices de gestion, les critères peuvent paraitre de prime abord tout à fait acceptables, mais très vite se pose la question de la légalité du critère et donc de la légalité des lignes directrices de gestion.

Par exemple, on a pu lire dans certaines lignes directrices de gestion que l’agent sanctionné ne peut pas faire l’objet d’une évaluation ni être inscrit sur la liste des promouvables. Le juge administratif ne laissera jamais passer l’idée qu’un stagiaire qui a eu une fois un blâme ne peut pas être titularisé. En effet, on n’apprécie pas la valeur professionnelle d’un agent sur le fait d’avoir été sanctionné une seule fois.

On l’a bien compris, on peut contester les lignes directrices de gestion devant le juge administratif. En vertu de l’arrêt Gisti de 2020 (CE, 12 juin 2020, n° 418142) qui étend la contestabilité des actes de droit souple, on peut parfaitement contester les lignes directrices de gestion quand elles ont un caractère impératif, c’est-à-dire qu’elles ont un effet immédiat sur la carrière du fonctionnaire et lui font grief. Le recours pour excès de pouvoir est ouvert à compter de leur affichage.

Des critères variables selon les établissements

1 – La marge de manœuvre des établissements

Chaque établissement a en effet une marge de manœuvre assez large pour la rédaction de ses lignes directrices de gestion.  

S’agissant de la stratégie pluriannuelle de pilotage des ressources humains, elle est très variable mais suit toujours à peu près les trois étapes suivantes : un état des lieux descriptif, une identification des enjeux, puis la déclinaison de la politique RH de l’établissement.

À côté de ce volet plutôt politique, on trouve le volet technique qui concerne les orientations générales en matière de promotion et de valorisation des parcours professionnels.

Par exemple, pour les critères retenus pour l’avancement de grade, les situations varient du tout au tout selon les établissements : pour certains, l’avancement se fait à 100 % à l’ancienneté, pour d’autres, 100 % à la valeur professionnelle, et entre les deux tous les cas de figure sont possibles.

À l’APHP, les pourcentages diffèrent en fonction du volume des effectifs. Les sages-femmes sont beaucoup moins nombreuses que les aides-soignantes et il est plus facile d’apprécier la valeur professionnelle de chacune : 50 % des possibilités d’avancement sont prononcées au titre de l’ancienneté (l’ancienneté dans le grade, l ’échelon, l’ancienneté de service public et la date de naissance) ;  50 % au titre du choix (détenir un master 2 et assurer des missions de coordination clinique et de recherche de manière autonome au sein d’une unité ou secteur ou au sein des réseaux).

2 – Quelques exemples de critères

On ne peut que se féliciter de la disparition de la notation, qui avait un côté scolaire et automatique, mais l’oratrice a conscience que les critères et les pondérations – qu’elle appelle la cotation, par opposition à la notation – risquent d’aboutir à une évaluation … chiffée. L’avantage de la cotation sur la notation est qu’il n’y a pas d’effet de cliquet.  Par rapport à l’année précédente, la note ne pouvait qu’augmenter. Avec la cotation, les compteurs sont remis à zéro tous les ans.

Le critère de l’ancienneté est très souvent retenu dans les établissements à la demande des partenaires sociaux, mais dans les textes et les jurisprudences un peu anciennes se trouve déjà l’idée que l’on ne peut pas se baser exclusivement sur l’ancienneté pour bâtir les tableaux d’avancement. C’est un critère déclinable à l’infini : ancienneté dans le grade, dans le corps, dans l’établissement, dans le métier, dans la fonction publique, dans la fonction publique hospitalière… et le critère avec lequel les RH sont le plus à l’aise puisqu'il est utilisé depuis des années.

On peut mettre en avant des critères plus qualitatifs et opérationnels :

  • le travail de nuit : recruter sur les postes de nuit est difficile ;  il peut être intéressant de faire du travail de nuit un critère qualitatif et de donner un petit coup de pouce aux professionnels qui travaillent de nuit ;
  • le présentéisme, plus chic que l’absentéisme et l’arrêt maladie, qui permet de récompenser un agent qui aura vu sa charge de travail augmenter à cause de l’absence d’un collègue ;
  • la question de l’égalité femmes-hommes. Il est important que les données soient genrées, c’est à dire qu'elles indiquent le pourcentage d’hommes et de femmes. Attention de ne pas confondre parité et égalité ! À l’APHP il s’agit bien d’égalité : si l’effectif d’aides-soignantes est composé à 85 % de femmes, il faut retrouver dans les personnes qui vont être nommées au grade supérieur 85 % de femmes, c’est un critère légal.

En fonction des établissements, les lignes directrices de gestion peuvent être extrêmement détaillées et former une synthèse de la politique RH de l’établissement : accompagnement à la mobilité, politique de formation, sécurisation des parcours, prévention des risques professionnels et même télétravail.

Un changement pour les RH et les agents

1 – Les lignes directrices de gestion ont remis la DRH au centre du jeu.

En effet, elles obligent les RH à agir de façon transparente, alors que jusque-là les agents avaient une mauvaise connaissance des règles qui les concernaient car rien n’était écrit. 

Certains établissement ont cherché à problématiser ces lignes directrices de gestion, en se posant des questions sur les points de fragilité ou les pistes d’amélioration. Est-ce que la DRH communique assez sur ce qu’elle réalise ? Les agents sont-ils suffisamment informés sur leurs évolutions de carrière ?

Fabrice Dion explique que dans son établissement, un lexique des critères et sous-critères a été réalisé, en concertation avec les représentants du personnel. Chaque agent qui passe l’entretien professionnel a ce lexique avec lui, et peut s’y reporter à tout moment pour chacun des termes utilisés (Comportement professionnel / Aptitude relationnelle dans l’environnement professionnel / Aptitude à accueillir et former d’autres agents).

2 – Un changement majeur pour les agents

L’autre élément à prendre en compte est qu’il s’agit pour les agents d’un changement culturel qui peut s’avérer très perturbant. En effet, l’agent ne va plus progresser régulièrement d’année en année, ce qui peut avoir des impacts en termes de primes en fonction de la valeur professionnelle. Certains établissements qui n’appliquaient quasiment que le critère à l’ancienneté devront l’abandonner en partie au profit de critères plus qualitatifs.

En conclusion

Il faut avoir à l’esprit que les lignes directrices de gestion s’inscrivent dans une évolution plus large de la fonction publique, qui repose sur la disparition de la notation, la mise en place de l’entretien professionnel et l’évolution du dialogue social. En effet, même s’il ne s’agit pas d’un accord collectif, la concertation avec les représentants du personnel est essentielle dans l’optique de l’acceptation du dispositif par tous les agents.   

La qualité de la mise en œuvre des lignes directrices de gestion dans un établissement découlera de cette perception globale pour dynamiser et moderniser la fonction publique hospitalière, en la rendant plus attractive pour les jeunes générations.