« L’organisation d’un hôpital repose essentiellement sur ses ressources humaines »

Théo Piolin est un jeune directeur des ressources humaines. Arrivé en janvier dernier au CHU de Caen, en pleine crise, après être passé par l’hôpital de Quimper, il présente sa gestion de la crise. Et expose son constat : les personnels sont sous tension, mais le système de santé tient.

Propos recueillis par Quentin Paillé

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Du point de vue de la gestion des ressources humaines, comment se passe la crise au CHU de Caen ?

Tout d’abord, il faut rappeler que l’organisation d’un hôpital reposant essentiellement sur ses ressources humaines, la GRH est au cœur de la gestion de cette crise.

Depuis le début de la crise, la DRH a accompagné les équipes et fait en sorte que tout soit mis en œuvre pour garantir le fonctionnement des unités de soins critiques et celles dédiées à la prise en charge des patients atteints de la covid-19 à chaque étape d’activation du plan blanc. Cela n’a pas toujours été simple, car la durée de la crise génère de la fatigue et se traduit, parfois, par de l’absentéisme, même si ce dernier reste contenu. Par ailleurs, des équipes soignantes ont malheureusement été atteintes de la covid-19 dans le cadre de leur exercice. Tout cela a donc conduit à une augmentation de notre taux d’absentéisme. Ainsi, alors que le taux d’absentéisme moyen au CHU est de 7,1 %, il est passé à 7,7 % en 2020.

Afin de garantir la continuité des prises en charge et ne pas reporter les soins pour les patients atteints d’autres maladies, nous avons parfois dû recourir aux heures supplémentaires et à l’intérim. Il faut en effet rappeler que le CHU de Caen est confronté aux mêmes problèmes que les autres hôpitaux : nous rencontrons des difficultés pour assurer les remplacements sur des métiers ciblés, dont certains sont indispensables pour assurer la prise en charge de patients atteints de maladie grave comme la covid-19. La raréfaction du personnel disponible s’est accentuée par le fait que tous les hôpitaux ont eu besoin, en même temps, et de façon plus importante, des « mêmes » personnels soignants.

Pour tous les services concernés par la crise de la Covid-19, et pour prévenir la fatigue des équipes, on a essayé de remplacer systématiquement les absences, afin d’éviter l’entrée dans un engrenage d’accumulation de fatigue qui peut alors conduire à un épuisement et à des arrêts longs.

Comment, concrètement, gérez-vous le bien-être des personnels et l’absentéisme en temps de crise ?

Nous faisons en sorte, en lien direct avec la direction des soins, d’être à l’écoute des équipes ainsi que des cadres qui sont en première ligne avec les équipes.

Nous faisons donc encore plus attention aux personnels en cette période de crise. Concrètement cela se matérialise par des mesures de bien-être au travail telles que la mise en place de séances de massage pour les services particulièrement touchés par la crise sanitaire notamment le service de réanimation. Nous avons également réfléchi à un dispositif pour faciliter l’organisation des vacances des soignants. Tout cela est très apprécié. Nous envisageons de pérenniser ce genre d’actions sur une longue durée. Par ailleurs, et en lien avec la médecine du travail, nous proposons, aux agents qui en expriment le besoin, un accompagnement, qu’il soit d’ordre médical, psychologique ou social.

Pour ce qui est de la gestion de l’absentéisme, nous avons recours aux pools de suppléance du CHU. Ces derniers permettent de remplacer quasiment instantanément toute personne absente. Si cela n’est pas suffisant, nous nous réorganisons en interne avec un service qui va aider un autre service plus en difficulté, ou bien nous avons un recours aux heures supplémentaires. La troisième étape, quand nous n’avons plus de ressource en interne, nous cherchons de la ressource externe. Mais aujourd’hui il est très difficile de trouver instantanément des soignants, particulièrement du personnel infirmier. Nous avons donc recours à l’intérim, même si cela reste insatisfaisant.

Quelle leçon provisoire tirez-vous de cette crise ?

Plusieurs leçons peuvent être tirées.

En tant que jeune directeur, la crise sanitaire a permis de mettre davantage en exergue la dimension opérationnelle du métier de directeur d’hôpital. Nous nous devons d’avoir une vision prospective des actions que nous menons, mais être directeur d’hôpital c’est aussi avoir un sens pratique des choses. La gestion de la crise permet de mettre en relief cet aspect dans la mesure où elle nous plonge dans une gestion très opérationnelle du quotidien. Un matin, on nous annonce qu’il faut augmenter le nombre de vaccinations ou ouvrir tant de lits, car il y a une augmentation importante du nombre de cas qui arrivent aux urgences. Il faut trouver une solution immédiatement, rappeler des personnels, activer des heures supplémentaires, recourir à l’intérim ou à des professionnels d’autres structures sanitaires. La proximité et la collaboration étroite avec les acteurs de terrain sont incontournables pour assurer notre mission.

Il faut ensuite souligner que le système hospitalier français a fait preuve de capacités d’adaptation et de souplesse remarquables. De plus, que nous avons des personnels très bien formés. Nous arrivons à prendre en charge les patients tout en parvenant à assurer la continuité des soins des patients souffrant de maladies chroniques. Tous les personnels du CHU — soignants — éducatifs - administratifs – médico-techniques — logistiques — ont travaillé de concert pour la même finalité : garantir une prise en charge de qualité pour nos patients. C’est cette souplesse, appréciée par chacun, qui doit pouvoir être confortée dans notre fonctionnement, notamment en travaillant sur la simplification de nos organisations de travail et des processus de décision.

Mais, comme à l’occasion de chaque crise, la pandémie a permis de mettre en exergue certains points de faiblesse de notre système de santé, notamment en matière de nombre de lits de réanimation et de soins intensifs, qui n’étaient pas forcément dimensionnés pour affronter ce type de crise. Au-delà de cette question matérielle, c’est la question des compétences nécessaires qui est posée : ce ne sont pas les murs ou les équipements qui nous ont fait défaut, mais les compétences essentielles pour faire fonctionner de nouvelles unités de soins.

Les mesures annoncées dans le cadre du Ségur de la santé ont été accueillies de façon positive par le personnel hospitalier. Les revalorisations salariales attendues vont renforcer l’attractivité de l’exercice professionnel à l’hôpital public.