Dialogue social : retraite des fonctionnaires : une discrimination indirecte fondée sur le sexe
Les avantages en matière de retraite accordés en France aux fonctionnaires parents d'au moins trois enfants créent une discrimination indirecte favorable aux femmes, ce qui «ne semble pas justifié», selon un arrêt du 17 juillet 2014 rendu par la Cour de justice de l'Union européenne (UE).
Un infirmier de la fonction publique hospitalière avait demandé en 2005 de bénéficier d’une retraite anticipée avec pension à jouissance immédiate, en sa qualité de père de trois enfants, mais sa demande avait été rejetée par la caisse de retraite (CNRACL) au motif qu'il n'avait pas interrompu son activité professionnelle pour chacun de ses enfants. Il avait alors saisi la justice, s'estimant victime d'une discrimination indirecte fondée sur le sexe, et la Cour administrative de Lyon a, à son tour, saisi la Cour de justice de l'UE.
En effet, le droit français prévoit que les fonctionnaires civils qui sont parents d’au moins trois enfants peuvent bénéficier d’une mise à la retraite anticipée avec pension à jouissance immédiate, à la condition, notamment, d’avoir, pour chaque enfant, interrompu leur activité pendant une durée continue d’au moins deux mois. Cette période d’inactivité peut prendre la forme, entre autres, d’un congé de maternité, d’un congé de paternité, d’un congé parental ou d’un congé d’adoption. Il prévoit également, pour chaque enfant et moyennant une condition d’interruption de carrière similaire, une bonification d’ancienneté au titre de la retraite.
Ces règlementations ont notamment été adoptées à la suite de l’arrêt Griesmar (29 novembre 2001, affaire C-366/99, communiqué de presse n°62/01), par lequel la Cour a jugé comme directement discriminatoire une réglementation française antérieure qui réservait le bénéfice d’une telle bonification aux seuls fonctionnaires féminins, excluant ainsi les fonctionnaires masculins qui pouvaient prouver avoir assumé l’éducation de leurs enfants.
Dans son arrêt, la Cour constate que, s’agissant de la bonification d’ancienneté, la réglementation française bénéficie aux fonctionnaires des deux sexes à condition qu’ils aient interrompu leur carrière durant une période minimale de deux mois consécutifs pour se consacrer à leur enfant, si bien qu’elle revêt une apparence de neutralité.
La Cour déclare toutefois que, malgré cette apparence de neutralité, le critère retenu par cette réglementation, conduit à ce qu’un pourcentage beaucoup plus élevé de femmes que d’hommes bénéficie de l’avantage concerné. En effet, compte tenu du caractère obligatoire et de la durée minimale de deux mois du congé de maternité en France, les fonctionnaires féminins se trouvent en position de bénéficier de l’avantage conféré par la bonification. En revanche, les autres situations de congé susceptibles d’ouvrir un droit à la bonification et dont peuvent notamment bénéficier les fonctionnaires masculins revêtent un caractère facultatif et sont, pour certaines, caractérisées par une absence tant de rémunération que d’acquisition de droits à pension. Il s’ensuit que la réglementation française désavantage un nombre élevé de travailleurs masculins et qu’elle introduit ainsi une discrimination indirecte fondée sur le sexe.
La Cour considère par ailleurs que, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, cette différence de traitement ne semble pas justifiée, en l’occurrence, par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe. En effet, bien que l’objectif invoqué par la France (à savoir compenser les désavantages subis dans le déroulement de la carrière des travailleurs féminins et masculins du fait d’avoir interrompu celle-ci en raison de la naissance, de l’arrivée au foyer ou de l’éducation d’un enfant) constitue, en tant que tel, un objectif légitime de politique sociale, la réglementation en cause ne semble ni propre à atteindre cet objectif ni nécessaire à cet effet. En particulier, la réglementation française ne semble pas répondre véritablement au souci d’atteindre cet objectif ni avoir été mise en œuvre de manière cohérente et systématique dans cette perspective.
S’agissant ensuite de la mise à la retraite anticipée avec pension à jouissance immédiate, la Cour constate que, tout comme pour la bonification d’ancienneté, cette réglementation, bien que revêtant une apparence de neutralité, est de nature à conduire à ce qu’un pourcentage beaucoup plus élevé de femmes que d’hommes en bénéficie.
La Cour considère encore, que sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, une telle différence de traitement ne semble pas justifiée, cette règle ne paraissant notamment pas répondre véritablement au souci d’atteindre l’objectif légitime de politique sociale susmentionné ni avoir été mise en œuvre de manière cohérente et systématique dans cette perspective.
Enfin, la Cour examine si les discriminations relevées dans le cadre de la bonification d’ancienneté et de la mise à la retraite anticipée avec pension à jouissance immédiate peuvent être justifiées du fait que les États membres ont la faculté, en vertu du droit de l’Union3, de maintenir ou d’adopter des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle.
La Cour répond dans les deux cas par la négative, considérant que les mesures en cause ne sont pas de nature à compenser les désavantages subis par les travailleurs en aidant ceux-ci dans leur carrière et, partant, à assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle.
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