Des coopérations interprofessionnelles simplifiées et bénéfiques pour tous

La loi d'accélération et simplification de l'action publique (ASAP) simplifie les coopérations interprofessionnelles dans les établissements hospitaliers en autorisant la mise en place de protocoles locaux. Le décret d’application qui en explique les modalités doit être publié le 1er avril prochain. Le Dr Michel Varroud-Vial, président du comité national des coopérations interprofessionnelles (CNCI) nous en livre les détails.

Propos recueillis par Quentin Paillé

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Concrètement que va changer le décret par rapport à la situation précédente ?

La loi d'accélération et simplification de l'action publique (ASAP) permet aux professionnels de santé qui exercent en établissements hospitaliers de mettre en œuvre des protocoles de coopération locaux à l’usage de leurs établissements sans nécessiter d’avis préalable de la Haute autorité de santé (HAS), ni de passage au comité national des coopérations interprofessionnelles (CNCI). La responsabilité de mise en œuvre revient au directeur général de l’établissement après avis conformes des CME et des commissions des soins. Les protocoles peuvent être mis en œuvre dès leur déclaration à l’ARS.

Le décret d’application porte sur deux points précis. Premièrement, nous avons choisi de simplifier les modalités de déclaration des protocoles. La déclaration des protocoles locaux à l’ARS se fera comme pour les protocoles nationaux, sur une application du ministère de la Santé, avec routage aux ARS. Nous avons aussi la volonté de rompre avec la complexité des indicateurs précédents et leur nombre un peu prohibitif par rapport aux protocoles. Désormais ce sont quatre indicateurs pour évaluer ces protocoles :

  • l’utilité d’après le nombre de patients pris en charge ;
  • l’efficience selon le taux de reprise par le médecin déléguant, si ce taux est trop fort, cela signifie que cela ne fonctionne pas ;
  • la sécurité par la déclaration des évènements indésirables (nombre et nature) ;
  • la satisfaction des professionnels qui mettent en œuvre le protocole sur une simple échelle « satisfait/non satisfait ».

Deuxièmement, le décret précise les conditions dans lesquelles le CNCI peut proposer le déploiement national d’un protocole local. Il peut le faire soit parce qu’il le trouve utile à l’attente des objectifs de santé, soit à la demande de l’établissement de santé qui le met en œuvre. Le CNCI vérifiera la conformité aux exigences de qualité et de sécurité qui ont fait l’objet d’un décret en Conseil d’État en 2019, et associera à son examen les ordres et les conseils nationaux des professions concernées. C’est une procédure simplifiée qui ne nécessite pas un nouvel appel à manifestation d’intérêt.

Quels sont les enjeux de la coopération interprofessionnelle ?

Pour les patients ces nouveaux protocoles et leurs modalités d’application vont améliorer l’accès et la qualité des soins en répondant à leurs besoins.

Pour les professionnels, l’idée est d'améliorer les conditions de travail. Typiquement dans les services d’urgence où il peut y avoir quelquefois des files d’attente qui s’allongent car les médecins ne sont pas disponibles, dans le cadre de protocoles, la délégation de prescriptions d’examens ou d’interprétations temporaires d’examens à une infirmière ou à un infirmier, cela permet d’accélérer les prises en charge. Ensuite, mieux travailler avec ses collègues. Et puis, tant pour les médecins qui délèguent que pour les non-médecins qui sont délégués (manipulateurs radio ou infirmières par exemple), c’est une nouvelle voie d’exercice, une nouvelle façon de travailler. Et très souvent, cela officialise des pratiques qui sont spontanées, mais qu’on cache un peu, car elles ne sont pas réglementaires. Cela permet vraiment de travailler d’une façon différente.

En outre, uniquement dans la fonction publique hospitalière, ces protocoles permettent aux professionnels qui exercent à titre de délégués et après délégation de bénéficier d’une prime de 100 euros brut mensuelle dans le cadre d’un ou plusieurs protocoles.

Enfin, cela permet de développer les coopérations interprofessionnelles sur la base des équipes qui souhaitent s’y engager, alors même que cela ne va pas forcément de soi dans le système de santé, où chaque profession est assez accrochée à ses compétences. Car tous ces protocoles restent volontaires, il n’y a jamais d’obligation.

Concrètement est-ce simple à mettre en place au sein des structures ?

Nous avons lancé un appel à manifestation d’intérêt (AMI) sur des protocoles de coopération ayant pour objet les recours fréquents et peu graves aux services d’urgences. Nous avons eu une dizaine de réponses, extrêmement structurées. Dans la période actuelle, de crise sanitaire, c’est un excellent taux de réponse. Car, se lancer dans ce genre de projet, c’est s’engager dans une démarche, pas seulement répondre à un formulaire. Les répondants ont alors exprimé une intention, avec des dérogations et un mode de fonctionnement précis. Nous n’avons pas besoin d’avoir 200 réponses, car à la fin nous n’aurons qu’un seul protocole, rédigé par ces 10 équipes à l’usage de toutes les équipes de France. Pour cela nous avons surtout besoin qu’une diversité de services s’engage, des établissements privés, publics, des CH, des CHU.

Tous ces protocoles locaux vont permettre de simplifier les choses. À partir de ces expériences, on va pouvoir ensuite, quelquefois, déployer sur tout le territoire national ces solutions qui auront prouvé leur faisabilité et leur efficience. Cela crée une nouvelle voie de protocoles nationaux basés sur des expériences concrètes, qui seront rendus possibles grâce aux initiatives locales.

Nous avons simplifié les protocoles nationaux, mais il reste quand même un certain nombre de conditions à remplir. Les personnels non-médecins exercent de nouvelles compétences qui étaient jusque-là l’apanage des médecins. Et ceci nécessite la validation de formations, ciblées et de durée proportionnelle aux nouvelles compétences à acquérir. Si l’établissement de santé ne met pas cela en place, il ne peut pas coopérer.

En deuxième lieu, il faut mettre en place des procédures de supervision et de concertation. En particulier des procédures de retour d’expérience - de concertation périodique - entre délégant et délégué. C’est à la fois une contrainte et un avantage : cela oblige à formaliser un travail plus coopératif au niveau des services, ce qui ne va pas toujours de soi.

Enfin, pour les professionnels non-médecins c’est aussi une initiation à de nouvelles compétences, leur donner envie par exemple de s’inscrire dans formation universitaire en pratique avancée.