Prestations sociales : différencier la fraude de la simple erreur ou de l’oubli

Par Jean-Charles Savignac

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Chargé par la Constitution de veiller au respect des droits et libertés par les administrations, le Défenseur des droits vient de consacrer un rapport à « la Lutte contre la fraude aux prestations sociales : à quel prix pour les droits des usagers ? »

Depuis 2014, il avait en effet relevé une augmentation significative du nombre de réclamations liées au durcissement de la lutte contre la fraude aux prestations sociales.

Jacques Toubon souligne d’emblée le paradoxe d’une situation où l’usager est pris en tenaille entre une procédure déclarative d’accès aux prestations sociales propice aux erreurs et un dispositif de plus en plus étoffé de lutte contre la fraude, qui véhicule une suspicion de fraude massive de la part des bénéficiaires.

Le dispositif de lutte contre la fraude lui paraissant susceptible de porter atteinte au principe d’égalité devant les services publics, à celui de dignité de la personne ou encore au principe du contradictoire, le Défenseur des droits formule quinze recommandations très détaillées pour redresser la situation.

Des règles et des pratiques plus cohérentes

• Le Défenseur des droits propose d’abord une modification du code de la sécurité sociale pour que l’intention frauduleuse devienne un élément constitutif de la fraude et qu’il soit rappelé aux organismes locaux la nécessité de rapporter la preuve de l’élément intentionnel constitutif d’une fraude avant de qualifier les faits.

• Différencier la suspicion de fraude de la fraude avérée, lors de l’inscription dans les fichiers de collecte des données liées à la fraude et lors de l’exploitation de ces données.

• Clarifier les attributions des agents des conseils départementaux lors du contrôle des bénéficiaires de prestations.

• Diffuser une instruction limitant la procédure de contrôle inopiné aux enquêtes ayant pour objet de contrôler la présence effective de l’usager à son domicile lorsque celle-ci conditionne la prestation.

• Diffuser des instructions détaillées s’agissant de la notion de concubinage qui impacte significativement la prise en compte des ressources pour le calcul d’une prestation ; former les agents en charge du contrôle aux particularités de l’enquête visant à établir un concubinage.

• Communiquer à la CNIL les bilans d’activité triennale relatifs aux fichiers « fraude » de la CNAF et de la CNAV.

 Mieux informer les allocataires

• Simplifier et harmoniser le contenu des obligations déclaratives et des procédures de demandes de prestations pour les usagers. Etudier notamment la possibilité d’une harmonisation des conditions de ressources.

• Accompagner les demandes de prestations d’un document à signer par le demandeur, rappelant les obligations de l’usager relatives notamment aux déclarations de changement de situation ; mettre ce document à disposition des usagers sous forme numérique et imprimée.

• Renforcer l’information des bénéficiaires concernant la coopération inter-organismes et le droit de communication dont ils sont titulaires, dès l’attribution de la prestation.

• Éditer et diffuser largement auprès des usagers soumis à un contrôle un document – tel qu’une charte – énonçant les droits et devoirs respectifs des bénéficiaires de prestations et du contrôleur.

• Modifier la règlementation afin que dès son inscription dans un fichier « fraude » de la CNAMTS l’usager en soit informé personnellement dans le respect de la délibération CNIL du 23 octobre 2014.

Renforcer les droits de la défense

• Renforcer la formation des agents en charge du contrôle en insistant sur le cadre procédural contradictoire, les règles déontologiques afférentes à la fonction de contrôleur, leurs droits et devoirs et ceux des usagers et sur les règles de rédaction d’un procès-verbal.

• Diffuser des instructions interbranches rappelant l’obligation d’assurer le principe du contradictoire avant toute qualification frauduleuse des indus et le prononcé d’une pénalité.

• Revoir les modèles de notifications d’indus afin de faire apparaître de manière détaillée : - la motivation en fait et en droit de la décision ; - les mentions des voies et délais de recours administratif et contentieux (procédure, adresses et délais pour chaque recours) ; - la mention des prénom, nom et qualité de l’auteur de la décision ainsi que sa signature.

• Distinguer la contestation (exprimée dans le cadre du recours) de la possibilité de solliciter une remise de dette (ouverte uniquement pour les indus non frauduleux) et informer les usagers des conséquences de cette distinction sur la reconnaissance du principe même de l’indu.

• Diffuser des instructions nationales rappelant l’autorité conférée à une décision de justice (civile ou pénale) devenue définitive en matière de fraude / Instituer un recours administratif préalable en cas de contestation de la sanction infligée dans les branches famille et retraite auprès d’une commission constituée au sein du conseil d’administration de l’organisme et non plus auprès de l’autorité décisionnaire.

Préserver la dignité des personnes

• Engager une réflexion sur les alternatives à l’exploitation automatisée des données afin de mieux garantir l’égalité de traitement des usagers ; mettre fin au contrôle ciblé des populations nées hors Union européenne.

• Instaurer par voie règlementaire un délai maximal de suspension du versement des prestations en cas d’enquête en cours pour suspicion de fraude.

• Garantir la bonne application des dispositifs juridiques encadrant le recouvrement des indus frauduleux, au moyen d’instructions nationales rappelant les principes fondamentaux en la matière : reste à vivre, application du plan de remboursement personnalisé, échelonnement du remboursement.

Au total, un ensemble de propositions détaillées qui devraient permettre de normaliser les relations entre les organismes et leurs ressortissants.