Grand âge et autonomie : le choc du rapport Libault
À l’occasion de la remise récente du rapport Libault, le 28 mars 2019, Agnès Buzyn disait « la vie vaut la peine d’être vécue jusqu’au bout ». Cela étant, la perspective d’une société française dans laquelle en 2050 près de 5 millions de Français auront plus de 85 ans et dans laquelle le nombre d’aînés en perte d’autonomie aura presque doublé, a conduit le gouvernement à agir pour faire face à cette situation difficilement supportable.
En septembre 2018, le Premier ministre a demandé à Dominique Libault, ancien directeur de la sécurité sociale, de conduire une concertation et de faire des propositions sur l'organisation, la prise en charge, le financement et la gouvernance de la perte d'autonomie, notamment dans la perspective d’un projet de loi.
Le 1er octobre 2018, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé a lancé une concertation nationale intitulée « Grand âge et autonomie » qui s’est achevée en février 2019. Une consultation citoyenne sans précédent qui a mobilisé 414 000 participants, et finalement, 18 000 propositions assorties de 1,7 million de votes.
D’autres contributions des personnes âgées, des aidants et des professionnels ont été reçues directement par la mission Grand âge et autonomie ou ont été formulées dans 11 « focus groupes » et 46 entretiens en face-à-face, entre novembre et janvier.
Cette large concertation s’est traduite par des contributions convergentes de la part de tous les acteurs. Cinq forums régionaux ont ensuite réuni plus de 500 personnes en métropole et dans les DOM. Ils ont été préparés par un conseil d’orientation, un comité scientifique et 10 ateliers thématiques.
1. Les données de base
Le constat dressé est qu’entre 9 % et 14 % des plus de 60 ans peuvent être considérés en perte d’autonomie. La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) estime qu’en 2015 environ 1 459 000 personnes de plus de 60 ans vivant à domicile étaient en perte d’autonomie. S’y ajoutent 584 000 personnes vivant en établissement, soit un peu plus de 2 millions. Sous un autre angle, en 2015, on comptait 1 265 000 personnes de plus de 60 ans bénéficiant de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et 74 000 environ de la prestation de compensation du handicap (PCH) ou de l’allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP).
L’écart entre les deux données provient d’un non-recours aux prestations et d’écart de mesures ou d’appréciation.
Les perspectives sont préoccupantes tant pour les effectifs en cause que pour la charge à financer. Le nombre de personnes âgées dépendantes augmenterait d’environ 200 000 personnes (+ 15 %) entre 2015 et 2030 selon un scénario bas, de 320 000 personnes (+ 25 %) selon un scénario intermédiaire et enfin de 410 000 personnes (+ 33 %) selon un scénario haut.
D’un point de vue financier, selon la DREES, les dépenses liées à la perte d’autonomie des personnes âgées, évaluées en « approche surcoût », représentaient 1,4 % du PIB soit 30 milliards d’euros en 2014, dont 23,7 milliards d’euros de dépenses publiques (79 %) et 6,3 milliards d’euros de dépenses à la charge des ménages. Le travail informel des 3,9 millions de proches aidants auprès des personnes âgées n'est pas pris en compte ; sa valorisation atteindrait 7 à 18 milliards d’euros.
Les principales dépenses d’accompagnement de la perte d’autonomie des personnes âgées sont :
- les dépenses de soins, pour environ 12,2 milliards d’euros financées à 99 % par la dépense publique via l’assurance maladie, leur prise en charge est ainsi universelle ;
- les dépenses dites de « dépendance » (aides humaines, techniques et d’aménagement du logement pour compenser la perte d’autonomie) pour 10,7 milliards d’euros ;
- et les dépenses d’hébergement en établissement, soit 7,1 milliards d’euros (auxquelles peuvent être ajoutées 4,4 milliards d’euros de dépenses dites de gîte et de couvert).
2. Les propositions du rapport Libault sur la base de la concertation
le rapport Libault formule 175 propositions regroupées autour de 8 priorités identifiées par les acteurs de la concertation.
L’accompagnement de la personne âgée en perte d’autonomie doit être profondément transformé, en suivant huit priorités consistant à :
- investir dans l’attractivité des métiers du grand âge, à domicile comme en établissement ;
- pouvoir choisir librement de rester à son domicile, plusieurs obstacles au maintien à domicile doivent être levés ;
- piloter pour et par la qualité. L’amélioration de la qualité du service rendu à la personne âgée en tout point du territoire pour tout type de prise en charge est l’axe névralgique des réformes à venir ;
- simplifier la vie des aidants et des aidés. La personne âgée fait appel à des interventions multiples qui doivent être coordonnées : soin, actes d’hygiène, actes de la vie quotidienne, lien social, besoin de prises en charge expertes à domicile, en établissement ou à l’hôpital…
- concrétiser le libre choix de la personne par une nouvelle offre. Il faut sortir d’une approche binaire avec le cloisonnement entre Ehpad et domicile pour proposer une gamme de solutions intermédiaires, mieux articulées entre elles ;
- reste à charge en établissement : faire baisser la contribution des personnes modestes, estimée à un peu moins de 1 850 euros par mois pour la moitié d’entre eux.
- lutter contre l’isolement de la personne âgée et des aidants. L’intervention de la collectivité est nécessaire pour reconnaître et mieux soutenir les aidants. Parallèlement, le bénévolat et la présence de jeunes auprès des personnes âgées doivent être développés ;
- augmenter l’espérance de vie en bonne santé en renforçant la prévention. Il s’agit d’un motif d’espoir, porteur d’une ambition nouvelle et d’une stratégie globale de prévention de la perte d’autonomie.
Pour « passer de la gestion de la dépendance au soutien à l’autonomie », le rapport formule 10 propositions :
- la création d’un guichet unique pour les personnes âgées et les aidants dans chaque département, avec la mise en place des Maisons des aînés et des aidants ;
- un plan national pour les métiers du grand âge permettant notamment d’agir à la fois sur une hausse des effectifs, une transformation des modes de management, la prévention des risques professionnels, la montée en compétences à travers une politique de formation ambitieuse, le développement de perspectives de carrière en faveur de l’attractivité des métiers du grand âge et d’une meilleure structuration de la filière ;
- Un soutien financier (550 millions d’euros) pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile, afin d’améliorer le service rendu et de revaloriser les salaires des professionnels ;
- Une hausse de 25 % du taux d’encadrement en EHPAD d’ici 2024 par rapport à 2015, soit 80 000 postes supplémentaires, pour une dépense supplémentaire de 1,2 milliard d’euros ;
- Un plan de rénovation de 3 milliards d’euros sur 10 ans pour les EHPAD et les résidences autonomie ;
- Améliorer la qualité de l’accompagnement et amorcer une restructuration de l’offre, en y consacrant 300 millions d’euros par an, vers une plus forte intégration entre domicile et établissement, pour des EHPAD plus ouverts sur leur territoire ;
- Une baisse du reste à charge mensuel de 300 € en établissement pour les personnes modestes gagnant entre 1 000 et 1 600 € par mois ;
- Une mobilisation nationale pour la prévention de la perte d’autonomie, avec la sensibilisation de l’ensemble des professionnels et la mise en place de rendez-vous de prévention pour les publics fragiles ;
- L’indemnisation du congé de proche aidant et la négociation obligatoire dans les branches professionnelles pour mieux concilier sa vie professionnelle avec le rôle de proche aidant ;
- La mobilisation du service civique et, demain, du service national universel, pour rompre l’isolement des personnes âgées et favoriser les liens intergénérationnels.
Au total, les 175 propositions du rapport constituent un ensemble cohérent et doivent se renforcer mutuellement. Le coût final est élevé (plus de 9 milliards d’euros) ; un projet de loi va être élaboré. Pour la ministre, il s’agit maintenant de « franchir le dernier kilomètre, celui de la finalisation de la réforme, dans un dialogue étroit avec les parties prenantes ».