Heures sup’ : l’heure du bilan
Au mois de juillet 2019, la commission des finances de l’Assemblée nationale avait saisi la Cour des comptes d’une demande d’enquête portant sur « les heures supplémentaires dans la fonction publique ». Dans un rapport de près de 200 pages publié au mois d’octobre 2020, la Cour des comptes a rendu sa copie, et dresse le bilan des heures supplémentaires dans la fonction publique entre 2010 et 2018.
Vaste sujet que les heures supplémentaires dans la fonction publique. Celles-ci sont utilisées dans les trois versants de la fonction publique, parfois de façon très importante. Surtout, le contexte récent des derniers mois en fait un sujet particulièrement important pour les agents publics et les administrations : entre l’épidémie de covid-19 qui a conduit à une utilisation majeure des heures supplémentaires pour certaines professions, particulièrement médicales ; la décision du ministre de l’Intérieur en fin d’année 2019 de payer une partie du stock d’heures supplémentaires des policiers ; et l’entrée des heures supplémentaires dans l’assiette de cotisation du nouveau régime de retraite par points envisagé, l’actualité était brûlante…
Toutefois aucune étude d’ampleur n’avait été menée jusque-là pour bénéficier d’une réflexion globale sur le sujet, alors que cet outil pose tant des questions de gestion des ressources humaines que des questions budgétaires. Au niveau des administrations même, généralement les heures supplémentaires sont mal recensées. Le rapport de la Cour des comptes permet d’en faire un bilan objectif.
1. État des lieux de la consommation d’heures supplémentaires
Des trois versants de la fonction publique, c’est l’État le plus gros consommateur d’heures supplémentaires : 1,6 milliard d’euros d’heures supplémentaires ont ainsi été réglés en 2018, les années précédentes s’étant à peu près élevées au même montant. Pour la fonction publique hospitalière, 200 millions d’euros d’heures supplémentaires ont été payés en 2018, et 500 millions dans la fonction publique territoriale.
Mais si dans la fonction publique hospitalière, le nombre d’heures supplémentaires peut presque apparaître raisonnable par rapport à ses deux voisines, cela ne doit pas masquer une réalité : la FPH s’illustre par un important stock d’heures supplémentaires, ni indemnisées, ni récupérées.
On apprend ainsi que ce stock s’élevait en 2018 à 18,5 millions d’heures, ce qui représentait un coût potentiel de 463 millions d’euros. Par comparaison, dans la fonction publique territoriale, le stock d’heures supplémentaires, ni indemnisées, ni récupérées s’élevait à 6,2 millions d’heures, soit trois fois moins que celui de la fonction publique hospitalière pour deux fois plus d’agents !
Compte tenu de la particularité des fonctions exercées dans le domaine de la santé, et de l’exigence de continuité du service, les personnels hospitaliers récupèrent en permanence les heures supplémentaires qu’ils ont réalisées, mais en recréent aussitôt, souvent même plus que ce qu’ils ont pu récupérer. Le stock d’heures supplémentaires est donc en réalité aussi important, voire plus, que les heures indemnisées ou récupérées.
2. Les avantages identifiés : souplesse d’organisation et complément de rémunération pour les agents
Les heures supplémentaires constituent une facilité de gestion pour les administrations, leur permettant de réagir à des besoins variés tels que pics d’activité ou besoins ponctuels en effectifs. De plus il est très facile de recourir aux heures supplémentaires, à l’inverse par exemple d’un recrutement de vacataires — de surcroît possiblement moins formés que les personnels déjà en place.
Du point de vue des agents publics, les récupérations horaires majorées ou l’indemnisation des heures supplémentaires constituent des compléments de congés ou de rémunération accueillis favorablement. Parfois, les compléments de rémunération qu’elles représentent sont significatifs.
Surtout, une heure supplémentaire ne coûte finalement pas beaucoup aux administrations.
En effet, si les heures sont indemnisées immédiatement (pratique peu répandue hors ministère de l’Éducation nationale), une heure supplémentaire coûte légèrement moins que le coût moyen horaire des agents via l’IHTS (indemnité horaire pour travaux supplémentaires). Quant à la récupération de ces heures, le mécanisme est identique, même si elle n’entraîne en apparence aucune dépense pour l’administration. En effet, elle équivaut indirectement à une indemnisation au coût horaire de l’agent, et peut même s’avérer plus chère lorsque la récupération est bonifiée (par exemple, une heure supplémentaire accomplie la nuit sera récupérée le double).
En revanche, le coût peut s’avérer plus important pour les employeurs publics lorsque les heures ne sont pas indemnisées ni récupérées tout de suite, voire ne le sont qu’en fin de carrière. Dans ce cas, chaque heure supplémentaire stockée sera indemnisée ou récupérée en fonction de la rémunération de l’agent, qui augmente avec le temps. Dans le cas où les administrations tardent donc à indemniser leurs agents, voire ne le font qu’au départ en retraite, l’addition peut être salée…
3. Mais une mauvaise utilisation des heures supplémentaires est aussi le signe d’une désorganisation des services, engendrant des risques pour tous
Si les heures supplémentaires sont donc un outil de gestion apprécié des administrations, la Cour des comptes note qu’un certain nombre d’heures supplémentaires, dont le volume est difficile à quantifier, est engendré par des dysfonctionnements structurels liés à une mauvaise organisation ou à des régimes de travail inadaptés aux exigences de bon fonctionnement des services.
Pour résoudre ces difficultés, la Cour envisage plusieurs pistes de réforme :
- la modification des cycles de travail, pour les faire coller beaucoup plus à la réalité de fonctionnement de certains services ;
- faire le ménage dans les cycles de travail inférieurs à 1 607 heures annuelles, lorsque les fonctions concernées ne justifient pas, en réalité, de sujétions particulières ;
- lorsque l’activité le permet, le recours à des horaires variables et à la récupération infra-annuelle des heures (« badgeage »), plutôt qu’à des horaires fixes générateurs d’heures supplémentaires.
En outre pour la Cour des comptes, il est important de régler le problème de stockage d’heures qui pose de multiples risques. Sont ainsi particulièrement visées les administrations, notamment hospitalières, dans lesquelles la tension sur les ressources humaines, accrue le cas échéant par les coefficients de bonification horaire, ne permet pas aux agents de récupérer rapidement les heures effectuées.
Les risques identifiés se posent d’abord pour les agents, car en ne permettant pas aux agents de récupérer leurs heures supplémentaires, cela peut conduire à des situations de suractivité préjudiciables pour les agents et les usagers des services publics concernés. Également pour les services, qui peuvent être confrontés au déstockage des heures supplémentaires par plusieurs agents qui ne sont plus là pendant de longues semaines voire mois sans pouvoir être remplacés. Et enfin pour les finances de ces administrations, car le stock d’heures supplémentaires constitue un passif social généralement non provisionné.
4. Le mécanisme des heures supplémentaires doit évoluer pour contrer certaines réalités, tenant à l’insuffisance de personnels et l’absence d’attractivité des métiers
Quand elles sont utilisées à bon escient, les heures supplémentaires constituent un levier souple et efficace permettant d’adapter le service public aux nécessités des circonstances. Elles sont donc l’outil idéal pour faire face à des pics d’activité, qu’ils soient saisonniers ou exceptionnels, comme l’a bien montré leur utilisation intensive à l’occasion de l’épidémie de covid-19.
Dans certains services des établissements hospitaliers des régions les plus touchées, elles ont été l’un des leviers qui ont permis de faire face à une augmentation subite de l’activité, à côté d’autres comme la mobilisation de la réserve sanitaire, des étudiants des parcours de formation de santé ou des professionnels affectés dans des établissements moins concernés (voir « Covid-19 : les dispositifs exceptionnels de mobilisation des personnels de santé », nov. 2020).
Mais à l’hôpital comme ailleurs, les heures supplémentaires ne doivent pas être utilisées massivement comme un outil d’ajustement structurel. La Cour des comptes relève ainsi que lorsque les administrations les utilisent de manière trop intensive pour satisfaire les besoins courants du service public, le risque de substitution des heures supplémentaires à des créations de postes est bien réel et met potentiellement en lumière une insuffisance de personnel préjudiciable à la qualité du service public rendu.
La Cour déplore enfin le détournement du mécanisme des heures supplémentaires qui a parfois lieu, qui devient alors un moyen de rémunération supplémentaire utilisé pour pallier une rémunération globale des métiers jugée insuffisante. Pour y remédier, une rémunération réévaluée et systématique des heures supplémentaires pourrait à nouveau faire pencher les agents pour l’indemnisation immédiate plutôt que le stockage d’heures.